Depuis des décennies, directrices et directeurs d’école se plaignent de la charge de travail que représente l’addition de la gestion d’une classe et du travail « administratif » qui s’alourdit avec les années. Aucun ministre de l’éducation nationale n’a pu ignorer cette situation. Certains ont tenté de répondre en augmentant les temps de décharge durant lesquels les directeurs-trices n’ont pas les élèves, d’autres en augmentant les indemnités pour la direction d’école. Rien n’y fait vraiment puisque, dans le même temps, les demandes faites aux écoles augmentent.
D’autres ministres ont tenté tout simplement d’imposer dans les écoles un·e véritable chef·fe car cette absence de hiérarchie sur le lieu de travail est une curiosité insupportable pour les néolibéraux.
Tout au long du quinquennat qui se termine, Blanquer aura repris cette vieille antienne de la droite pour faire disparaître toute gestion collective possible d’une structure scolaire : c’est la loi Rilhac, adoptée au parlement le 29 septembre dernier, qui instaure aujourd’hui une autorité fonctionnelle aux directrices et directeurs d’école. Le ministère a pourtant publié lui-même en 2020 une enquête qui montre que cette autorité fonctionnelle n’est désirée par personne, pas même les enseignant·es chargé·es actuellement de la direction d’école. Aucune association de parents, aucun mouvement pédagogique, pas même un syndicat d’inspecteurs ne réclame cette nouvelle fonction hiérarchique. La crise sanitaire a servi de prétexte supplémentaire à l’installation de cette nouvelle hiérarchie, alors même que les équipes ont « tenu » en dehors de toute hiérarchie, le plus souvent livrées à elles-mêmes, grâce à leur travail et leur inventivité.
Il s’agit donc d’une réforme purement idéologique, qui n’améliorera en rien le travail des équipes et peut être le vecteur d’autres réformes libérales/réactionnaires.
Mais que font les syndicats ?
Nationalement plusieurs milliers de directrices et directeurs ont fait connaître leur opposition à la loi Rilhac dans un appel soutenu par SUD éducation, Snuipp-Fsu, Cgt éduc’action et Snudi-Fo Au Conseil Supérieur de l’Education, les mêmes ont fait connaître leur opposition pleine et entière à ce projet. D’autres sont restés plus discrets ou ont carrément fait campagne en faveur de la mise en place de cette loi… SUD éducation a insisté sur le fait que la situation actuelle est loin d’être satisfaisante. Les personnels manquent de temps pour échanger. Le quotidien est à l’avalanche de tâches administratives, plus ou moins utiles. Depuis des années, les directrices et directeurs d’école voient leurs tâches s’alourdir (augmentation du nombre d’interlocuteurs et interlocutrices, place du numérique, injonctions administratives diverses et variées) et la hiérarchie s’est montrée soit pesante soit totalement absente au moment de la crise sanitaire. Ainsi, à chaque promesse d’allègement ou de « simplification », c’est l’inverse qui se produit, et la charge augmente. Pire encore, des petites écoles rurales n’obtiennent même pas les journées de décharges promises pour effectuer les tâches de direction faute de remplaçants. La loi Rilhac ne réglera rien de tout cela.
Dans un contexte où l’unanimité de la critique syndicale n’est pas la règle, l’unité de la mobilisation n’a pas suivi. Certes SUD éducation, le Snuipp, le Snudi-Fo et la Cgt éduc’action ont porté la critique et ont appelé à des rassemblements devant les inspections académiques et/ou les rectorats. Dans le Puy-de-Dôme, c’est même SUD éducation qui a pris l’initiative d’organiser une intersyndicale sur cette question mais cela n’a pas suffi. Donc sur ce dossier, le pouvoir avance. Ce que Macron a mis en place à Marseille nous renseigne sur son projet pour l’école.
Que se passe-t-il à Marseille ?
Le 2 septembre 2021, Macron dévoile son plan « Marseille en grand ». Dans 50 écoles marseillaises, la directrice ou le directeur fonctionnel·le pourra choisir l’équipe pédagogique autour d’un « projet novateur ». Ces écoles disposeront d’une large autonomie en matière d’horaires ou de rythmes scolaires.
Quelques jours plus tard, un appel est lancé par la DSDEN 13. Les équipes de circonscription, IEN en tête, vont démarcher des écoles et inciter les équipes à postuler. Nos camarades de SUD éducation Bouches du Rhône nous expliquent que, dans certaines écoles, des directeurs·trices ont déposé un projet contre l’avis des collègues… Un appel à refuser d’entrer dans ce processus a été signé par plusieurs dizaines d’écoles. Au plan départemental, une intersyndicale (SUD éducation, Snuipp, Snudi-fo, Cgt éduc’action) s’est opposée au projet (rassemblement, audience, meeting).
59 écoles ont été retenues pour participer à l’expérimentation. Bonus pour ces écoles : ¼ de décharge de direction supplémentaire. Des titulaires remplaçants de secteur (TRS) ont été déplacés pour assurer ces décharges, le tout dans un contexte de manque de remplaçants comme partout ailleurs.
En février 2022, au moment de l’attribution de la part modulable de l’indemnité REP + (encore une invention Blanquer), les enseignant·es des écoles REP + retenues dans le projet « écoles innovantes » ont obtenu la part maximale de 600 €.
En mars 2022 la DSDEN 13 décide d’organiser un mouvement de mutation parallèle pour l’affectation sur ces postes à « compétences particulières ». Des fiches de postes sont publiées : profil du poste, descriptif du projet, compétences à maîtriser, pré-requis (diplômes ou expériences) souhaités. Les candidat-es dont les profils sont les plus adaptés aux postes proposés reçoivent une convocation à un entretien piloté par un IEN et un membre de l’école. Reçue en audience, l’intersyndicale du 13 a rappelé que tous les postes d’enseignant·es, dans quelque école que ce soit, nécessitent des compétences qui exigent une formation initiale et continue renforcée et adaptée. Toutes les craintes exprimées par l’intersyndicale au lendemain des annonces du 2 septembre se sont concrétisées.
Le 2 juin, en visite à Marseille, Macron annonce que cette « école du futur » sera « généralisée » sur tout le territoire.
Marseille, laboratoire national
L’expérimentation marseillaise apparaît comme une anticipation des propos tenus par Macron en campagne pour sa re-élection : «Pour les enseignants en place, je propose un nouveau contrat. On augmente leur rémunération s’ils sont prêts à changer leur organisation. Toutes les nouvelles embauches sont sur la base de ces nouveaux contrats […] On va payer mieux ceux qui sont prêts à faire plus d’efforts».
L’expérience marseillaise est désormais présentée comme le futur management public, qui préfigure une contractualisation du travail enseignant, en lieu et place du statut. Cette remarque de Macron en campagne : « Vous avez des enseignants qui pendant le covid se sont occupés des élèves, et des enseignants qui ont disparu (…) Dans une école on va avoir un professeur qui va changer les résultats des élèves et un autre non » laisse croire que l’échec à l’école relèverait du seul investissement des enseignant·es, individuellement et collectivement. Le rôle, massif, des inégalités sociales, est occulté et c’est pourquoi ce type de réforme se fait toujours au détriment des familles défavorisées. Il se fait aussi au détriment des enseignant·es : en Angleterre, ce management a clairement échoué mais c’est encore le pays d’Europe de l’ouest où les enseignant·es font le plus d’heures pour le salaire le plus bas.
Pour SUD éducation, la visite du 2 juin est un concentré de l’idéologie néolibérale de Macron et de son gouvernement. SUD éducation s’opposera résolument à cette politique, et participera à la construction d’une mobilisation puissante pour faire échec à l’attaque sur les statuts des personnels du premier comme du second degré, pour des augmentations de salaires sans contrepartie significatives en cette période d’inflation accélérée, et pour un plan d’urgence pour l’école, qui passe par des recrutements massifs de titulaires afin de construire une école publique laïque et émancipatrice pour toutes et tous.